CHAPITRE XXXIV
Le complot permanent

Effrayé par la puissance américaine, même s’il prétend le contraire dans les rares interviews qu’il donne, Staline cherche à neutraliser les gouvernements européens face aux États-Unis. Il utilise à cette fin les partis communistes comme autant d’agences de sa diplomatie et comme moyens de pression sur ces gouvernements. Selon les moments et les besoins, la politique de Moscou varie de la collaboration franche aux grèves-commandos. Le modèle pour lui est la Finlande, dont le gouvernement agit dans le respect des intérêts fondamentaux de Moscou, sans que le moindre bouleversement social modifie le régime de propriété.

Dans cette optique, la guerre de Corée ressemble bel et bien à une opération de diversion, et d’une tout autre ampleur que le blocus de Berlin. En mars 1949, le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Il-sung, sonde Staline sur son intention d’envahir la Corée du Sud pour réunifier le pays sous sa botte. Staline, d’accord, lui conseille néanmoins la prudence et reste dans le vague, « une aussi grande affaire à propos de la Corée du Sud […] exige une grande préparation[1452] », dit-il. Quand le dirigeant coréen revient à Moscou, un an plus tard, fin mars 1950, Staline a changé d’attitude : il l’approuve et l’encourage. Entre les deux dates, un événement décisif s’est produit : la victoire de la révolution chinoise, que Staline a tenté en vain de contenir et la proclamation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949.

Quittant Moscou, Kim Il-sung se rue à Pékin, où il obtient le soutien inconsidéré de Mao Tsé-toung ; Staline ordonne que toutes les demandes en armement présentées par la Corée du Nord pour former de nouvelles divisions soient satisfaites en urgence. Dans la nuit du 24 au 25 juin 1950, les blindés nord-coréens franchissent le 38e parallèle qui sépare, depuis 1945, la Corée du Nord de la Corée du Sud. L’ONU vote la motion américaine exigeant l’intervention. Le Conseil de sécurité, réuni le 25 juin, à l’initiative des Américains, décide l’envoi de troupes onusiennes, essentiellement américaines, au secours de Syngman Rhee, le président de la Corée du Sud. L’URSS ne peut utiliser son droit de veto contre cet envoi, car elle boycotte le Conseil depuis février pour dénoncer l’occupation du siège de la Chine par le représentant de Tchang Kai-shek au nom de l’île de Formose (Taiwan). Staline aurait pu suspendre ce boycott proclamé au nom de la défense de la Chine. Il n’en fait rien. Le 27 juin, le Conseil de sécurité vote une seconde résolution, demandant à tous les pays d’assister la Corée du Sud. Le représentant de l’URSS, Jacob Malik, est toujours absent. Le ministère des Affaires étrangères soviétique avait proposé qu’il participe à cette réunion. Staline s’y est opposé, en sachant fort bien que ce refus permettrait le vote du Conseil.

En juillet 1950, les troupes nord-coréennes occupent 90 % du territoire du Sud. Le physicien Artsimovitch, passionné d’analyse militaire et convaincu de ses capacités de stratège en chambre, affirme alors à ses voisins que l’étirement des lignes nord-coréennes va permettre aux Américains de les couper en deux par un débarquement à Pusan. Il reçoit alors, dira-t-il, un coup de téléphone menaçant de Beria s’exclamant : « Qu’est-ce que tu as à bavarder ? Tu sais QUI planifie l’opération ? Tais-toi sinon ça ira mal pour toi[1453]. » Staline suit effectivement de près les opérations militaires en Corée, mais veut surtout y plonger la Chine.

Les Américains débarquent à Pusan ; leur contre-offensive foudroyante renverse la situation. Ils arrivent, le 26 octobre, sur le fleuve Ya-lou, à la frontière de la Chine. Peu avant, Staline, dans une lettre à Mao Tsé-toung, pousse ce dernier à s’engager dans le conflit, en annonçant que les États-Unis sont susceptibles de s’engager directement dans la guerre, entraînant « donc » dans le conflit la Chine et l’URSS, un pacte d’assistance mutuelle liant ces deux pays. « Faut-il le craindre ? À mon avis, non, car ensemble nous sommes plus forts que les États-Unis et l’Angleterre […] Si la guerre est inévitable, mieux vaut qu’elle commence aujourd’hui[1454]. » Staline se préparait-il effectivement à une troisième guerre mondiale comme l’affirment aujourd’hui encore certains historiens ?

Quelques semaines plus tard, il conseille à Kim Il-sung de se réfugier dans les montagnes. Oubliant sa missive belliciste du début du mois, Staline se dégage : « Et alors ? Que les Américains soient nos voisins en Extrême-Orient. Ils vont y venir, mais nous n’allons pas les combattre. Nous ne sommes pas prêts à combattre[1455]. » Désinvolte, il explique alors à Chou En-laï qu’en cas de défaite nord-coréenne Kim Il-sung pourra constituer un gouvernement en exil dans le nord-est de la Chine. Sa lettre d’octobre était bien une provocation contre les Chinois. Laissé à lui-même, Mao s’engage. À partir du 20 octobre, Pékin envoie près d’un million de « volontaires » qui contre-attaquent par vagues humaines déferlant, au prix de lourdes pertes, sur les positions américaines.

Staline rechigne à fournir aux Chinois, quasiment privés d’aviation, l’aide aérienne dont ils ont grand besoin. L’aviation soviétique n’est pas prête, se lamente-t-il. Il faut du temps. Début décembre, il fournit des avions dont les pilotes, en uniforme chinois, sont censés appartenir à la colonie russe installée depuis longtemps dans le Nord de la Chine. Fin décembre, les troupes chinoises franchissent le 38e parallèle. Leur chef d’état-major, Peng De-huaï, y était hostile. Staline, désireux de pousser la Chine face aux Etats-Unis, soutient la position de Mao, favorable à l’offensive. Les troupes chinoises envahissent Séoul au début de janvier 1951.

En mars, une nouvelle contre-offensive américaine ramène la ligne de front sur le 38e parallèle. Le commandant des troupes américaines, le général MacArthur, propose à Truman de lâcher la bombe atomique sur la Chine. Truman le relève de son commandement. Au même moment, Staline se soucie soudain du délabrement de la flotte de guerre soviétique : le 13 juillet, il convoque une première réunion du Conseil principal de la marine militaire. En colère, il explique aux présents : le gouvernement dépense des milliards de roubles pour une flotte de guerre inexistante. Le chef de l’état-major de la marine et les commandants de la flotte se couvrent la tête de cendres : ils sont responsables. Staline convoque une seconde réunion le 16 juillet, où l’autoflagellation des commandants de flotte reprend de plus belle. Staline décide alors de construire une flotte de sous-marins atomiques. Il recommande à Mao la fermeté en Corée. Le 19 novembre 1951, il lui conseille d’« appliquer une tactique souple dans les négociations », mais de « continuer à suivre une ligne de fermeté, sans manifester de hâte et sans montrer le moindre intérêt dans une conclusion rapide des négociations[1456] ». Dix mois plus tard, feignant d’oublier que l’armée américaine arrive à la frontière de la Chine, il affirme à Chou En-laï : « La guerre de Corée a montré la faiblesse de l’Amérique », alors que les Américains sont à dix kilomètres de la frontière chinoise ! « Les Américains n’arrivent pas à venir à bout de la petite Corée depuis deux ans déjà. Et on prétend qu’ils sont forts ? On ne gagne pas la guerre avec la bombe atomique[1457] », surtout si on ne l’emploie pas…

Staline fait payer à Mao le prix de son indépendance : il fixe un abcès au flanc de la Chine populaire et dévie sur elle la pression militaire américaine loin du champ de l’Europe. Il fait tout pour prolonger la guerre, en veillant à ce que l’URSS ne s’y trouve pas engagée.

La guerre de Corée lui sert aussi de support de propagande pacifiste. C’est ainsi qu’il lance une campagne internationale hystérique contre la prétendue guerre bactériologique que mèneraient les États-Unis en Corée, dénonçant comme agents américains les socialistes qui refusent de s’y associer. Conséquence de ce conflit, qui fit plus de 2 millions de morts, le budget militaire américain, retombé à environ 10 milliards de dollars en 1948 (huit fois moins qu’en 1945) au prix d’une sévère hausse du chômage et d’une crise économique menaçante, remonte à 50 milliards et offre à la sidérurgie américaine un second souffle, que la poursuite de la guerre froide va entretenir.

Staline est bientôt dans l’impasse. Le 17 mai 1951, un correspondant de la Pravda lui demande : « Considérez-vous une nouvelle guerre mondiale comme inévitable ? » Il répond : « Non, du moins à l’heure actuelle, on ne peut pas la considérer comme inévitable. » Pourquoi ? Que faire pour qu’elle ne le soit pas ? Mystère. Un an plus tard, il répond, toujours aussi laconique, à « un groupe » indéfini, peut-être imaginaire, de rédacteurs en chefs de journaux américains qui lui demandent : « Une troisième guerre mondiale est-elle plus proche à l’heure actuelle qu’il y a deux ou trois ans ? — Non, elle ne l’est pas. » Pourquoi ? Il l’a, dit, cela suffit. Autre question : « Une rencontre des chefs des grandes puissances serait-elle utile ? » Il rétorque, aussi énigmatique : « Il serait possible qu’elle fût utile. » Enfin, le 21 décembre 1952, au journaliste américain James Reston qui lui demande s’il est prêt à participer à une initiative pour mettre fin à la guerre en Corée, il répond oui, sans préciser la nature de l’initiative en question, la forme qu’elle pourrait prendre, etc. Ce laconisme dissimule mal son impuissance : il ne sait que faire ni que dire pour sortir d’une double impasse sur les plans international et intérieur.

En effet, le lancement de projets qu’il ne mène pas à leur terme témoigne bien d’une lassitude grandissante dans tous les domaines.

Ainsi, à la fin de 1950, il tente de renforcer et d’élargir les fonctions du Cominform en donnant plus de pouvoirs à son secrétariat. Une de ses réunions, prévue pour le 10 octobre 1950 à Bucarest, est d’abord repoussée à la seconde moitié de décembre. Il fait décider par le Bureau politique, le 28 octobre, de le convoquer et de préparer une nouvelle conférence du Cominform. Il propose de donner un Secrétaire général à l’organisation internationale et tente de convaincre Togliatti d’accepter ce poste, pâle reflet de celui qu’occupait jadis Dimitrov au Comintern.

Togliatti vient bientôt se faire soigner en URSS, au début de décembre, au sanatorium du Comité central, à Barvikha. Staline lui téléphone, le 24 décembre 1950, pour le lui proposer. Togliatti résiste. Staline l’invite à sa datcha, le soir du Jour de l’an, et lui renouvelle sa proposition. Togliatti rechigne toujours à accepter ce poste honorifique qui, en pleine campagne de la démocratie chrétienne italienne contre les « agents de Moscou », le grillerait dans son pays[1458]. Staline propose de réunir le Secrétariat du Cominform, pour trancher, le 25 janvier 1951. Togliatti arguë de son état de santé pour en demander le report et repartir en Italie. Le 18 janvier, le Bureau politique accepte un report de deux à trois mois. Togliatti fait voter par son Bureau politique une résolution soulignant les dégâts que provoquerait son absence des batailles électorales en cours dans le pays. Ainsi, Togliatti dit non. Au sommet apparent de sa puissance, Staline se heurte à la résistance d’un dignitaire communiste étranger, ce qui aurait été impensable en 1936 ou en 1947. La mécanique stalinienne se rouille.

Staline envisage un instant de convoquer une quatrième réunion du Cominform à Bucarest, au printemps 1951. Les services de Molotov élaborent plusieurs projets d’ordre du jour ; l’un d’eux suggère que, après avoir vilipendé les partis communistes français et italien à la première réunion, les Yougoslaves à la seconde et la troisième, la prochaine devrait stigmatiser « certains partis communistes dont l’affaiblissement de l’attention portée au travail organisationnel et idéologique a abouti à la pénétration d’éléments ennemis dans les partis communistes ». Qui ? Sans doute, à en juger par la suite, le parti tchécoslovaque[1459]. Un Cominform présidé par un communiste italien aurait facilité l’excommunication de ses dirigeants. Mais cette quatrième réunion ne se tiendra jamais : celle de novembre 1950 est la dernière. Le Secrétariat ne se réunira plus. Staline laisse mourir un organe d’excommunication devenu inopérant. Désormais, il s’y prendra autrement : c’est alors, en effet, qu’il concocte le procès truqué le plus retentissant d’après-guerre. Il se tiendra en Tchécoslovaquie.

Toujours sur le plan international, le 8 janvier 1951, Staline a convoqué à Moscou tous les secrétaires des PC d’Europe de l’Est, les ministres de la Défense des démocraties populaires, avec le chef de l’état-major général de l’URSS, le général Chtemenko et le maréchal Vassilevski. On a de cette réunion deux comptes rendus, l’un à sensation, émanant du ministre de la Défense tchèque, Cepicka, cité en 1979 par Karel Kaplan[1460], l’autre rédigé dans des Mémoires non destinés à la publication par Mathias Rakosi, le secrétaire du PC hongrois. Selon Kaplan, Staline le va-t-en guerre annonce à ses interlocuteurs la préparation d’un plan d’invasion prochaine de l’Europe auquel chaque pays doit participer. Selon Rakosi, l’objectif est beaucoup plus modeste. Le maréchal Chtemenko insiste sur la nécessité pour les démocraties populaires de construire des armées fortes, puis Staline explique : « À la fin de 1953, l’OTAN aura achevé ses préparatifs et, pour l’équilibrer, il est indispensable de déployer convenablement les armées des pays socialistes[1461]. » Il détaille ce que doit être l’armée de chacun de ces pays à la fin de 1953. L’énormité des dépenses induites fait frémir les personnes présentes qui toutes font des objections. Staline leur promet d’en tenir compte. Mais Chtemenko maintient ses exigences. Staline revient sur ses concessions promises. La comédie a été réglée à l’avance. Staline joue les conciliateurs face aux durs de l’état-major. Les décisions déséquilibrent le budget des « démocraties populaires » pour répondre à la politique dite de « refoulement » des États-Unis et de l’OTAN. Elles militarisent aussi leur vie politique intérieure en liaison avec les procès qui déferlent sur ces pays depuis 1949.

Le 31 mars 1952, un décret annonce une nouvelle baisse des prix de 10 à 20 % selon les produits, à compter du 1er avril. Le 4 avril, Ignatiev, le ministre de la Sécurité d’État, envoie à Staline un rapport sur les réactions enregistrées à la suite de cette mesure, soit par la photocopie de lettres de soldats à leurs parents ou amis, soit par des conversations notées par des agents de la Sécurité. Les auteurs de lettres débordent tous d’enthousiasme, mais les conversations relevées manifestent un scepticisme beaucoup plus grand. Un assesseur du tribunal de Moscou déclare brutalement : « C’est une fiction totale. D’abord parce qu’en province il n’y a et il n’y aura nulle part de produits et que la vente de pain s’effectue sur listes. Ensuite, la population n’en tirera aucun profit car on nous soutirera de toute façon les sommes ainsi économisées par n’importe quel moyen et sous n’importe quel prétexte. » Il n’est pas le seul à penser cela, et d’autres prévoient que le gouvernement fera disparaître les produits dont la baisse est annoncée et les remplacera par d’autres, déclarés de qualité supérieure, baissera les salaires en augmentant les normes et augmentera l’emprunt obligatoire. Un spécialiste chiffre même le montant de la double opération : « Cette année, l’économie effectuée par la baisse des prix représentera environ 28 milliards de roubles, alors que la souscription à l’emprunt pour 1952 représentera 42 milliards de roubles. En fin de compte, les travailleurs perdront 14 milliards de roubles[1462]. »

Comme à l’accoutumée, les échecs de sa politique tant intérieure (l’inefficacité de la baisse des prix) qu’extérieure (la mise en veille du Cominform) s’accompagnent d’un tour de vis supplémentaire dans la répression.

En effet, il prépare dès novembre une gigantesque provocation antisémite. Bien entendu, l’antisémitisme stalinien, en contradiction avec la tradition même dont Staline se réclame, ne peut s’af ficher comme tel. C’est pourquoi, honteux, il se dissimule depuis la fin de la guerre derrière des formules doucereuses telles que « politique des cadres incorrecte », « régulation nationale de l’encadrement », « cosmopolitisme sans racines », etc. En juillet 1949, le document secret de la Cour suprême, signé par le vice-ministre de l’Intérieur Krouglov, condamnant Achille Leviton et Ilia Serman à vingt-cinq ans de camp, leur reproche d’avoir affirmé « la supériorité d’une nation sur les autres nations de l’Union soviétique[1463] ». Laquelle ? La cour n’ose pas la nommer. Quand Abakoumov envoie une circulaire antisémite à ses sous-ordres, il fait laisser en blanc par sa secrétaire tous les passages indiquant la qualité de juifs des victimes désignées et, une fois seul dans son bureau, les remplit de sa main ! Le chef de la Sécurité d’État, dont le nom terrorise ses victimes, doit ainsi se cacher de sa propre secrétaire pour mettre en œuvre la politique antisémite de son maître.

En 1950, Ben Gourion, par une décision ultrasecrète, fait constituer dans les pays de l’Est, et principalement en Union soviétique, un réseau d’espionnage appelé Nativ. Staline en est bientôt informé, sans doute par l’un des principaux conseillers militaires de Ben Gourion, Israël Beer, chroniqueur militaire régulier du quotidien travailliste Davar, et agent secret soviétique. Il ne sera démasqué et arrêté qu’en 1961 et condamné alors à dix-huit ans de prison. La création de Nativ et son activité programmée dans une Union soviétique qui compte près de 3 millions de juifs encouragent certainement Staline à inventer un complot sioniste destiné à s’emparer en URSS de la Sécurité d’État elle-même.

La chasse de Staline aux ennemis supposés ouvre aux clans en lutte, ainsi qu’aux carriéristes avides de promotion, de vastes opportunités. Vient en effet le moment où les adjoints n’attendent plus les ordres pour prendre les initiatives. Après la mort de Staline, Beria soulignera ainsi la responsabilité personnelle du Chef dans l’assassinat de Mikhoels, mais affirmera que l’invention du « complot » des nationalistes mingréliens (du nom du peuple de Géorgie dont Beria est originaire), puis de celui des Blouses blanches, fut le fruit d’une initiative personnelle d’un subordonné, le ministre de la Sécurité de Géorgie Roukhadzé, d’un côté, le lieutenant-colonel de la Sécurité Rioumine, de l’autre.

Selon une note de Beria du 25 juin 1953[1464], Rioumine, chargé d’interroger le médecin Etinguer, arrêté le 18 novembre 1950 pour ses conversations téléphoniques où il se répandait en critiques acerbes sur le régime et sur Staline, lui soutira l’aveu qu’il avait tué en 1945 Chtcherbakov. Convoqué par Abakoumov, Etinguer revint sur ces aveux, arrachés, dit-il, sous la torture. Rioumine le fit revenir sur ses dénégations à coups de poing et de pied. Etinguer en mourut, et Rioumine fut blâmé pour n’avoir pas établi de procès-verbal des dépositions du médecin. Sentant le sol se dérober sous lui, ce dernier décide alors de sauver sa tête en dénonçant Abakoumov dans une lettre à Staline, datée du 2 juillet, où il accuse son chef d’avoir délibérément freiné l’enquête sur « le médecin nationaliste juif » Etinguer, et autres crimes de la même eau. Afin de prouver la justesse de son comportement dans l’affaire Etinguer, Rioumine fabriqua ainsi l’af faire des prétendus « médecins assassins ».

Selon Beria encore, l’invention du complot mingrélien revint à Roukhadzé. Ce dernier « donna à Staline des informations mensongères sur la situation de l’organisation du parti géorgien » et lui présenta les difficultés politiques et économiques « comme le résultat d’une activité hostile souterraine d’un groupe de nationalistes mingréliens inventé par lui. Joseph Staline […] prit pour argent comptant l’information provocatrice de Roukhadzé[1465] ».

Si cette version des faits est vraie, Staline serait devenu le prisonnier du système qu’il avait constitué : même si la décision définitive ou l’arbitrage ultime lui reviennent et s’il met finalement sur la touche ses hommes de main, les inspirateurs des complots imaginaires, ce seraient eux et non plus lui.

Mais Beria, en l’occurrence, charge les hommes qu’il veut liquider. Le complot des médecins assassins fut l’aboutissement logique de la campagne anticosmopolite et de la liquidation du Comité antifasciste juif. Peut-être Rioumine, avec son flair de policier, l’a-t-il senti et a-t-il suggéré la fabrication de ce complot dont Staline a perçu tout de suite l’intérêt.

Le 4 juillet, Staline, en vue de liquider Abakoumov, constitue une commission d’enquête qui prétend bientôt qu’Etinguer avait, « sans la moindre pression », avoué ses « intentions terroristes » lorsqu’il avait soigné Chtcherbakov en 1944-1945, et que c’est pour cette raison même qu’il l’avait assassiné. Abakoumov, selon la commission, avait camouflé ces aveux et fait périr le cardiaque Etinguer en le jetant dans une cellule glaciale. Enfin, trois dirigeants d’une « organisation de jeunesse juive antisoviétique[1466] », arrêtés, avaient avoué à Abakoumov leur intention d’abattre des dirigeants, mais il avait négligé ces aveux, omis dans le procès-verbal de leur interrogatoire. Il aurait donc protégé les terroristes en herbe. Staline, le 5 juillet 1951, le reçoit en pleine nuit. Le 11 juillet, il fait adopter par le Bureau politique, réuni à cette occasion, une résolution sur « La situation malsaine dans le MGB de l’URSS ». Le 12, Abakoumov est interné à la prison spéciale de Matrosskaia Tichina. Staline le remplace à la tête de la Sécurité par un terne apparatchik, étranger à ce milieu, Semion Ignatiev, à qui il transmet l’affaire du Comité antifasciste.

Fin août, Staline part en vacances à Tskhaltoubo. Entre deux siestes, il peaufine son idée d’un complot judéo-sioniste. Le 24 août 1951, Ignatiev informe Malenkov et Beria qu’aucun document ne confirme les dépositions des inculpés. Les espoirs d’un procès public s’estompent. Staline confie alors à l’hystérique Rioumine la poursuite de l’« enquête » et lui remet à cette fin un questionnaire, rédigé par ses soins, établissant la liste des questions à poser aux emprisonnés. Les 19 et 20 octobre 1951, il fait arrêter Andreï Sverdlov, colonel de la Sécurité d’État, chez qui la police trouve des ampoules de poison violent et tout un arsenal, puis une demi-douzaine d’autres cadres juifs de la Sécurité d’État : Naoum Eitingon, le coorganisateur de l’assassinat de Trotsky, Léonid Raikhman, Lev Schwartzmann, l’enquêteur et tortionnaire en 1939 de Babel et Meyerhold, Lev Cheinine, enquêteur de la Sécurité d’État. Tous sont accusés d’avoir constitué une organisation terroriste sioniste visant à prendre le contrôle de la Sécurité d’État sous la direction d’Abakoumov La mère de Sverdlov sollicite l’intervention de Staline et lui rappelle que, deux fois déjà, il a fait libérer son fils arrêté, en 1935 et en 1938[1467]. Il ne lui répond pas. Ce juif, fils du vieux révolutionnaire Jacob Sverdlov, entre, avec son arsenal, dans ses plans de complot.

Le 26 septembre, Staline dîne avec Vlassik, Poskrebychev et le ministre de la Sécurité de Géorgie, Roukhadzé. Il a invité cet alcoolique pour monter une intrigue contre Beria. Il l’interroge sur les aventures du neveu de Beria à Paris. Roukhadzé en ignore tout, mais Staline sait que ce neveu, Evgueni Gueguetchkori, fait prisonnier dès juillet 1941, s’était engagé dans la légion géorgienne de la Wehrmacht avant de partir en France où il avait revêtu l’uniforme SS et participé à l’exécution de quelques résistants. Il avait pu revenir tranquillement en URSS grâce à l’intervention d’un agent de Beria, en France depuis 1925, Gueguelia qui, sans doute aidé par l’appareil clandestin du PCF, avait transformé ce SS en résistant. Depuis lors, Gueguetchkori coulait des jours paisibles à Tbilissi. Dans la conversation, Staline lâche une phrase sur l’amour excessif de Beria pour les Mingréliens… À Roukhadzé d’interpréter !

Il lui confie une double opération, l’une rocambolesque, l’enlèvement de mencheviks géorgiens réfugiés à Paris depuis trente ans ; l’autre délicate : la fabrication d’un complot de nationalistes mingréliens accusés de vouloir livrer la Géorgie à la Turquie.

Au début de novembre, Staline descend à Akhala-Aphonia d’où il appelle Roukhadzé et lui demande s’il sait que Baramia, le deuxième secrétaire du PC géorgien, protège le procureur corrompu, Tchonia. Oui, il le sait. Staline revient d’urgence à Moscou et, le 9 novembre, fait adopter par le Bureau politique une résolution « Sur la corruption en Géorgie et sur le groupe anti-Parti de Baramia », protégé de Beria. Le lendemain, le Comité central du PC géorgien dénonce un complot nationaliste mingrélien et les malversations financières de la direction. Les proches de Beria : Rapava, Tchonia, Charia, son ancien secrétaire, sont tous arrêtés en octobre 1951, juste après les dirigeants juifs de la Sécurité d’État, et accusés de complot sioniste. Puis Staline s’acharne sur Gueguelia. Au téléphone, il ordonne à Roukhadzé : « Arrêtez-le, battez-le, fusillez-le ! » et lui déclare : « Baramia est un véritable espion[1468]. »

Au début de 1952, une lettre de Géorgie parvient à toute la famille Staline. En l’envoyant aux deux enfants en même temps qu’au père, l’expéditeur a voulu éviter que le secrétariat de Staline ou la garde de Beria n’intercepte un message qui met en cause plusieurs responsables du parti géorgien, amis de Beria, accusés de corruption, trafic d’influence et malversations. Les auteurs de la lettre sont manifestement informés de l’aversion de Vassili pour Beria. En faisant de lui l’un des destinataires, ils sont convaincus que son contenu parviendra à son père. Staline réunit le Bureau politique, pour la première fois de l’année, le 27 mars, et lui fait adopter une résolution intitulée « Sur la situation dans le parti communiste de Géorgie » qui critique vertement son Premier secrétaire, Tcharkviani.

Staline nomme Beria, originaire de Mingrélie, à la tête de la commission d’enquête chargée d’épurer le PC géorgien et de frapper ses propres amis. Beria destitue ainsi lui-même le Premier secrétaire du PC géorgien, son ami Tcharkviani, et le remplace, conformément à la décision de Staline, par Mgueladzé, à la tête d’un clan anti-Beria en Géorgie.

À la mi-février 1952, Staline nomme Rioumine vice-ministre de la Sécurité. Cet antisémite forcené doit mener à terme l’affaire du Comité antifasciste juif et fabriquer le complot des Blouses blanches destiné à couronner l’édifice. Il met les bouchées doubles, s’attachant à démontrer que son prédécesseur, Abakoumov, chef d’un complot nationaliste juif au cœur même de la Sécurité, a recruté en masse des juifs et surtout des juives dans celle-ci pour en prendre le contrôle. Le président de la cour militaire, Tcheptsov, est chargé d’une nouvelle instruction de l’affaire du Comité antifasciste juif. Il reçoit le dossier rassemblé par Rioumine, accompagné d’un commentaire d’Ignatiev, considérant que « l’affaire [est] traitée avec négligence[1469] ».

Tcheptsov qui juge « manifestement impossible de prononcer un verdict dans cette affaire sur la base de documents douteux et non confirmés », exige de Rioumine d’impossibles « preuves » et met en doute la validité même de certaines dépositions, comme celles de Fefer, arrachées par la « menace d’un passage à tabac ». C’est l’aveu d’un embarras et d’un profond mécontentement. Avec le dossier fabriqué par Rioumine, Staline ne sait comment monter un procès public antisémite. Il faut tout reprendre de zéro. Rioumine éructe, frappe les accusés, menace Tcheptsov lui-même. Mais Rioumine, à court d’imagination, n’obtient que des aveux grotesques malgré les coups et les supplices qu’il leur inflige. On apprend ainsi que ces « nationalistes juifs » sont par exemple favorables à l’enseignement du yiddish. Pas de quoi fouetter un chat… La plupart des accusés du Comité antifasciste juif reviennent sur leurs aveux. Tcheptsov se voit donc confier une troisième instruction de l’affaire du Comité. Rien n’y fait pourtant. Arrêté après la mort de Staline, Rioumine fulminera dans une lettre à Malenkov : « Les juifs sont bien plus dangereux que toutes les bombes atomiques et à hydrogène réunies ! Ces juifs, si on ne les arrête pas à temps, vont forcer toute l’humanité à cracher le sang. » Son arrestation est leur victoire : « Les Rothschild, les Rockefeller et les Ben Gourion de toutes sortes, de toutes variantes se frottent les mains de satisfaction car ils prévoient la victoire rapide des juifs à l’échelle internationale[1470]. »

Pour l’heure, furieux, Staline convoque Ignatiev et lui annonce : « Si vous ne démasquez pas les terroristes, les agents américains se dissimulant parmi les médecins, vous irez rejoindre Abakoumov. » Et il ajoute : « Je ne viens pas au MGB en solliciteur. Je peux exiger, je peux vous casser la gueule si vous ne satisfaites pas à mes exigences […]. Nous vous ferons avancer comme un troupeau de moutons. » Ignatiev se hâte. Le 13 mars, il entame l’instruction du dossier des 213 personnages cités au cours des interrogatoires des accusés. La Sécurité frappe fort. On y trouve les écrivains Ilya Ehrenbourg, Vassili Grossman, Samuel Marchak, Boris Sloutski, le pianiste Mikhail Blanter, l’embaumeur de Lénine Boris Zbarski, le violoniste Kheifetz, et même le docile Vergilis, jusqu’à sa mort le fidèle chantre du régime. Staline envisage donc un moment de liquider toute l’intelligentsia juive, y compris sa majorité entièrement russifiée, qu’il sera évidemment malaisé d’accuser de nationalisme juif… Ignatiev forme les groupes d’enquêteurs pour ce gigantesque complot, puis boucle l’instruction du Comité antifasciste juif le 28 mars 1952. Le 3 avril, il transmet à Staline l’acte d’accusation contre « les nationalistes juifs et espions américains, Lozovski, Fefer et autres », concluant à leur culpabilité à tous, et propose de les condamner à mort à la seule exception de Lina Stern, que Staline veut garder en vie. Il suggère de la condamner à dix ans d’exil. Staline fait confirmer le lendemain l’acte d’accusation et le verdict par le Bureau politique, mais ramène la durée de l’exil de Lina Stern de dix à cinq ans. Aucun miracle ne lui a pourtant fourni les fameux documents manquants.

Le 8 mai, le procès à huis clos de quatorze membres du Comité antifasciste juif, arrêtés quatre ans plus tôt, s’ouvre dans la salle Dzerjinski du ministère de la Sécurité. Après une interruption, il se clôt le 18 juillet, et entérine les propositions de l’instruction : condamnation à mort de treize accusés et condamnation de Lina Stern à une peine de détention et de cinq années d’exil. Emprisonnée depuis le 28 janvier 1949, elle part directement en exil au Kazakhstan. Ses recherches pour ralentir le vieillissement, murmurait-on alors, étaient en bonne voie : elle pourrait les poursuivre et permettre peut-être à Staline de prolonger son existence. En tout cas, il attendait d’elle un service. Les treize autres, inutiles, sont condamnés à mort et fusillés. Le procès, le verdict et l’exécution resteront rigoureusement secrets. Nul ne sait encore ce que sont devenus ces disparus très connus, et sur lesquels coururent les rumeurs les plus folles pendant des années.

L’échec de cette première campagne antisémite est patent. Elle souligne la contradiction que l’écrivain Alexandre Borchtchagovski note de façon simplificatrice dans L’Holocauste inachevé : « L’histoire avait joué un sale tour à Staline en faisant de lui le sauveur des juifs européens, leur bienfaiteur, leur père, alors que quelqu’un d’autre avait pris le rôle qu’il aurait tant voulu s’attribuer[1471]. » Mais Staline ne s’est jamais engagé sur la voie d’une solution finale.

Il fait adopter par le Bureau politique, en novembre 1951 et mars 1952, des résolutions dénonçant ce complot. Roukhadzé y accuse Beria d’avoir dissimulé ses origines juives prétendues. Khrouchtchev affirmera que « l’accusation de conspiration fut fabriquée pour se débarrasser de Beria », mais que « Staline, vieux et malade, n’alla pas jusqu’à la conclusion logique de son plan[1472] ». La vieillesse n’est pas la seule raison. Il est également mécontent de ses exécutants. Roukhadzé se vante de ses conversations téléphoniques et de ses rapports personnels avec Staline, mais n’arrive pas à arracher aux amis de Beria arrêtés les aveux d’un complot que ce dernier aurait monté. Staline ne pardonne ni l’échec ni le bavardage intempestif, et il fait jeter Roukhadzé en prison en juillet 1952. L’intrigue contre Beria, elle, reste à l’état de projet.

Alors que le Parti ne s’est plus réuni depuis plus de douze ans, Staline fait décider par le Bureau politique la convocation du XIXe congrès du PCUS pour l’année qui vient. Le Comité central en a bien pris la décision en février 1947, mais depuis, plus personne n’avait osé en parler, et nul ne devait en éprouver vraiment la nécessité. Staline a en tête un projet, qu’il n’expose pas à ses lieutenants. Pendant plusieurs mois il n’en parle plus. Quel sera l’ordre du jour ? Qui sera le rapporteur si Staline est trop affaibli pour parader des heures durant à la tribune. Nul ne le sait. Un jour de juin, il annonce ses décisions : Malenkov présentera le rapport d’activité du Comité central, Khrouchtchev un rapport sur la modification des statuts, et Sabourov, le président du Gosplan, un rapport sur le plan quinquennal

En février 1952, Svetlana quitte son second mari, Iouri Jdanov Désemparée, elle veut alors voir son père et lui écrit : « J’ai très envie de te voir, pour t’informer de ce que je vis en ce moment. J’ai envie de te raconter tout cela moi-même de vive voix. » Elle lui raconte, brièvement, quelques événements de son existence et tente de vaincre son indifférence morne : « J’espère, malgré tout, fortement te voir et, je t’en prie, ne te fâche pas parce que je t’informe des événements post factum, tu étais au courant des choses avant déjà[1473]. » Il la reçoit à contrecœur. Huit mois plus tard, elle renouvelle la même demande ; le 28 octobre, elle lui écrit : « J’ai très envie de te voir. Je n’ai aucune "affaire" ni aucun "problème", simplement comme ça. Si tu le permettais et si cela ne te dérange pas, je te demanderais de me permettre de passer chez toi à Blijnaia deux jours, pendant les fêtes de novembre, les 8 et 9 novembre. Si c’est possible, j’emmènerai mes deux petits enfants, mon fils et ma fille. Pour nous ce serait une véritable fête[1474]. » Pas pour lui, il accepte là encore de mauvais gré. Svetlana tentera plus tard de rejeter sur Beria ses difficultés permanentes à voir son père. C’est un mauvais procès. Il gouverne comme il vit, de plus en plus en solitaire, sans cesse plus absent : en 1950, le Bureau politique ne s’est réuni que six fois. Du 1er août au 22 décembre, il n’a reçu aucune visite à son bureau du Kremlin.

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